La première chose que l’on apprend sur un marché levantin est que la saveur commence par une odeur. L’air lui‑même est une salade: de la menthe qui pique les narines comme une étincelle verte, de l’aneth qui bourdonne de fraîcheur, du persil dont le souffle poivé fait saliver, de la coriandre qui sent la pluie dans un champ de coriandre. J’ai marché dans Achrafieh à sept heures du matin avec des sachets d’herbes encore humides de la rosée, près d’un boulanger faisant glisser une manoushe sur le saj brûlant, la pâte givrée tandis qu’un bouquet de za’atar crépite dans l’huile d’olive sur le dessus. Une femme à côté de moi pinçait une brindille de thym sauvage entre ses doigts, la leva vers son visage et ferma les yeux. C’est ainsi que les recettes commencent ici — d’une pincée, d’un souffle, et d’un sourire qui dit oui, c’est la feuille que nous voulons.
Dans le Levant, les herbes ne sont pas des garnitures mais l’architecture de la saveur. Elles forment la colonne vertébrale discrète des soupes de lentilles en bouillon et le chœur dans les salades qui éclatent au citron. On les fait frire, elles se vexent pas; on les écrase, on les blanchit, on les pile, et toujours, toujours respectées. Ma teta disait que la planche à découper est un jardin en miniature. Si vous écoutez, les feuilles vous diront quand vous arrêter.
J’ai appris la grammaire des herbes fraîches dans le Souk el Tayeb de Beyrouth, où les paysans arrivent avec des bouquets encore frais de l’air montagnard. Les étals se lisent comme un lexique d’herbes: du persil plat empilé en oreillers verts; de la menthe dont les tiges se dressent dans des bocaux, des feuilles veinées comme de petites routes; de la coriandre empilée comme une forêt; l’aneth, feathery comme des cils. Il y a aussi le baqleh, le pourpier, avec des feuilles épaisses couleur jade qui craquent lorsque vous les croquez, et hindbeh, feuilles sauvages de pissenlit qui viennent nouées avec des élastiques et un peu de terre qui sent honnêtement la pluie sur les collines.
Par un matin de printemps près du Chouf, j’ai suivi un cueilleur qui avançait d’un pas mesuré, scrutant le sol à la recherche d’indices de saveur. Il écartait l’herbe pour révéler le za’atar sauvage, une plante qui ressemble à un arbuste modeste mais qui porte un parfum mi‑orage, mi‑soleil de montagne. Il m’a appris à cueillir uniquement les pointes pour que la plante reste généreuse l’année suivante, une leçon sur le goût et la responsabilité. Nous avons ramené notre récolte à la maison, étalée sur du papier journal pour enlever les brindilles, et frottée entre nos paumes avec un peu de sel marin pour réveiller les huiles. La cuisine ressemblait à une couleur verte devenue un son.
Dans le centre d’Amman, les vendeurs d’herbes du balad s’installent avant que la chaleur n’escalade les bâtiments. Il y a un rythme dans leurs voix qui crie: na’na’ frais, persil doux, aneth comme des baisers. Les mots forment une musique improvisée. J’achète toujours trop — plus que nécessaire — car une heure peut transformer un bouquet en un autre. Le truc, c’est d’avoir un plan: si la menthe ressemble à pouvoir déclencher une émeute, vous faites un fattoush; si le persil est dense et aromatique, le tabbouleh est inévitable.
Si vous pensez que le tabbouleh est une salade de boulgour parsemée d’herbes, vous n’avez jamais goûté la version qui envoie les tantes libanaises dans une vive controverse. Le vrai tabbouleh est un souffle froid de persil d’abord, persil ensuite, puis de la menthe, de l’oignon vert, de la tomate, et enfin le plus petit soupir de boulgour qui ne sert que de passerelle texturale.
Voici la méthode qui ne me trompe jamais, apprise à une table de Mar Mikhael au-dessus d’une montagne de persil qu’il fallait apprivoiser:
Assaisonnez avec le jus de citron et une généreuse quantité d’huile d’olive. Salez comme il faut. Goûtez. Puis goûtez à nouveau après cinq minutes, car le persil absorbe l’acide comme le pain absorbe la soupe. La magie opère dans cet intervalle silencieux, lorsque le citron grimpe dans les feuilles et que l’huile d’olive les rend brillantes, presque vernis. Quand le tabbouleh est juste, il ne s’effondre pas. Il tient, comme une colline verte dans un bol.
Un autre secret: je frotte une pincée de piment de la Jamaïque entre le pouce et l’index sur la salade; la chaleur flatte le vert, un tour que j’ai appris d’un chef à Zahle qui jure par lui pour le tabbouleh servi avec l’arak. Et si jamais vous voyez un tabbouleh si mouillé qu’il flotte, soyez indulgent, mais sachez que quelqu’un a oublié ce que le persil veut — la luminosité, pas la noyade.
La menthe fraîche est le baiser sur la joue; la menthe frite est le murmure derrière l’oreille. Dans le Levant, les deux sont des dialectes essentiels de la même langue.
Le rôle de la menthe fraîche est d’être la note supérieure craquante et mentholée. Mélangée au fattoush, elle transforme le pain pita grillé et les tomates en quelque chose qui craque comme le rire. Déchirée sur du labneh avec une bande d’huile d’olive et de sumac, elle est presque indécente par sa fraîcheur. En été, je mélange citron et menthe avec une touche de sucre et de glace pour obtenir la limonana, une boisson qui goûte comme une fenêtre ouverte sur le monde.
Mais la menthe frite — des feuilles séchées qui prennent dans la graisse chaude — est une créature différente. Dans les shishbarak, ces petites quenelles de bœuf cuites dans du yaourt, vous chauffez un peu de samneh (beurre clarifié) jusqu’à ce qu’il scintille, ajoutez de l’ail jusqu’à ce qu’il devienne blond et parfumé, puis émiettez la menthe séchée. La cuisine s’éveille avec une odeur comme le thym prenant un bain chaud. Cette cuillerée qui crépite, appelée le dagha dans certaines cuisines, est versée dans le pot de yaourt hors du feu. La menthe s’assombrit, le yaourt s’exclame, et tout le plat s’approfondit d’une teinte.
Essayez ceci ailleurs:
Utilisez de la menthe séchée pour la friture; la menthe fraîche devient pâteuse et amère sous l’effet de la chaleur. Pour la menthe sèche qui garde encore le goût d’une feuille, pas la poussière, faites-la vous-même: cueillez par matin sec, lavez, essorez, étalez à l’ombre avec une brise, et écrasez juste avant de la conserver dans un bocal. Elle doit ressembler à des confettis, pas à de la poudre.
Aucun son dans une cuisine levantine n’est plus satisfaisant que le sifflement d’une ta’liyeh — ail et coriandre frais jetés dans de l’huile d’olive chaude. Le truc, c’est le timing: c’est une opération d’une minute. Vous voulez que la couleur reste seulement un murmure, pas un fait.
Considérez le mloukhieh, le ragoût de feuilles de jute qui peut ressembler à un enchevêtrement de soie verte timide. Si vous ajoutez l’équivalent d’un mortier d’ail pressé et de coriandre hachée à l’huile d’olive scintillante jusqu’à ce que les bords de l’ail deviennent dorés, puis envoyez l’huile chaude et parfumée dans le ragoût, le plat gagne une colonne d’arôme. La vapeur porte la note basse de l’ail et la brillance humide de la coriandre. Le ragoût cesse d’être timide.
Cette ta’liyeh est aussi l’âme d’adas bi hamod, la soupe de lentilles et de blettes qui a le goût d’un soleil d’hiver filtré par le citron. Sans elle, la soupe est sincère; avec elle, elle devient une histoire.
Techniques importantes:
Un ami d’Homs jure par l’ajout d’une seule pincée de cumin au sifflement; un autre de Haïfa jettera parfois quelques piments verts hachés pour une chaleur sourde qui attend au milieu du palais. Les deux ont raison, car la logique de la ta’liyeh est flexible: c’est une poignée de main finale, pas un contrat.
Il y a une saison au Levant où les collines sont une bibliothèque de phrases comestibles. Les gens se penchent pour les lire de leurs mains.
Za’atar, hysope sauvage, est la signature — écrasé dans un mélange avec des sésames grillés et du sumac, il devient le mélange séché, aussi appelé za’atar, qui lance mille petits déjeuners. Mais frais, c’est un poème différent. Mélangez les feuilles avec des tomates et des olives, saupoudrez sur du fromage de chèvre, ou pétrissez-les dans une pâte pour des petits chaussons appelés fatayer. Dans le village, j’ai vu une voisine presser du za’atar frais dans une huile d’olive tiède avec du sel à l’aide du talon de la main. L’huile prenait une teinte verte dorée, amère‑pimpante et vibrante.
Baqleh, pourpier, pousse comme une rumeur optimiste, çà et là, juteux et frais. Dans les cuisines palestiniennes, le fattoush comprend souvent de grandes feuilles de pourpier qui retiennent la vinaigrette comme une louche retient l’eau. Leur petit croquant transforme la salade en un rythme. Mon petit‑déjeuner préféré reste une assiette de concombre tranché et de pourpier avec un œuf mollet, une pincée de sel et une mare d’huile si verte qu’elle semble lumineuse de l’intérieur.
Hindbeh, feuilles de pissenlit, arrivent avec de la terre sous leurs ongles. Vous les blanchissez vivement pour apprivoiser l’amertume, pressez l’eau avec vos mains jusqu’à ce qu’elles ressemblent à un poing mouillé, puis faites revenir avec des oignons fondus dans l’huile d’olive. Un filet de mélasse de grenade, quelques noix concassées, et vous obtenez une assiette de mezze qui goûte comme la fumée dont se souvient l’herbe.
Et puis il y a l’akkoub, le chardon épineux aimé en Syrie et en Palestine, une sorte de cœur d’artichaut sauvage. Nettoyé avec patience et frit avec de l’ail et de la coriandre ou mijoté avec de l’agneau et du citron, il est rare, de saison et inoubliable — le genre de plat qui pousse une table au silence.
La cueillette n’est pas seulement une économie; c’est une continuité. Les familles vont sur la même pente année après année, les grands‑parents apprenant aux petits‑enfants l’odeur de ce qu’il faut cueillir. L’éthique est explicite: ne déraciner jamais, prendre un peu, laisser beaucoup, et offrir une poignée au premier voisin que vous croisez sur le chemin du retour.
Les feuilles de vigne farcies portent un parfum reconnaissable lorsque l’aneth est bien utilisé. En Syrie, yabra’ inclut souvent de l’aneth fin non pas comme une tête d’affiche mais comme un murmure. La farce — riz brillant d’un peu d’huile, tomates coupées en dés pour structurer, persil et menthe hachés pour la fraîcheur — prend l’aneth comme un secret.
Le roulage compte. Les feuilles de vigne blanchissent dans une eau si chaude que l’on peut sentir le vignoble monter hors du pot. Posez une feuille sur la planche veine side up. Un mince fil de farce près de la tige, puis les côtés vont en étreinte, et vous roulez serré mais pas étranglé. Elles doivent être cigare‑minces, rangées dans la casserole en rangées de feuilles et avec une tranche de pomme de terre. Des rondelles de citron sur le dessus, une assiette pressée pour les garder nettes, puis un bouillon d’eau et de citron et d’huile d’olive versé jusqu’à ce que tout soit à moitié submergé. Une cuisson lente est miséricordieuse; une ébullition serait du vandalisme.
Lorsqu’elles sont prêtes, les feuilles sont tendres mais intactes, le riz tendre mais avec l’épine dorsale d’un grain, et le parfum d’aneth danse sur la vapeur de citron lorsque vous soulevez le couvercle. Vous les mangez avec les doigts, une par une, avec trop de citron. Le but est l’excès.
Des variations parcourent la région. À Irbid, j’ai appris à intégrer une poignée de coriandre hachée pour amplifier le vert. Dans la Galilée, un cuisinier m’a montré du boulgour haché qui remplace une partie du riz, astuce qui donne une mâche rustique et boit le citron. Le détail qui unit: l’aneth n’est jamais seul. Il fait partie d’un chœur avec le persil et la menthe, et parfois le parfum résineux et discret du piment de la Jamaïque.
Les cuisines côtières parlent les herbes avec un accent différent, salé par la mer.
Sayadieh est le plat qui m’a appris le sens des oignons bruns. Vous prenez des oignons et les faites cuire jusqu’à ce qu’ils prennent la couleur du bois de noix; plus foncé que ce que vous jugez raisonnable; puis vous laissez mijoter le riz dans ce bouillon d’oignons jusqu’à ce que les grains acquièrent une douceur toastée, presque fumée. Le poisson frit est posé dessus, et une pluie de persil haché et de pignons grillés arrive comme une brise. Le persil n’est pas une garniture; c’est un antidote à la douceur, un système de freinage poivré qui vous permet de continuer à manger.
Le samke harra de Tripoli (poisson épicé) est agressif à tous les égards comme il faut: un poisson entier étalé d’une pâte de poivrons rouges rôtis, noix, ail, citron, huile d’olive, et — voici le mouvement discret — coriandre à la fois crue et frite. Certains cuisiniers l’écrasent dans la pâte; d’autres la font frire avec l’ail et l’incorporent à la fin. Dans les deux versions, la coriandre enveloppe la chaleur du poivron d’un parfum vert. Quand le poisson sort, bords carbonisés et sauce bouillonnante, une seconde poignée d’herbes crues et de jus de citron noue l’ensemble.
Goûtez ceci dans une poissonnerie près du port à Mina et remarquez comment la brise soulève la vapeur des herbes des plateaux. Un garçon passera avec un plateau de thé à la menthe. Des anciens se disputeront pour savoir si le poisson a été cuit une minute de trop. Vous comprendrez ce débat, car les herbes vous rendent précis.
Si vous voulez que les herbes aient le goût des feuilles et non celui de la pelouse, il faut les couper avec la patience d’une personne attentive.
Respectez les tiges. Les tiges du persil sont pleines de saveur; hachez‑les très finement et ajoutez‑les aux ragoûts ou faites-les revenir avec les oignons au début pour une base herbivore. Les tiges de coriandre ont une saveur citronnée; hachez‑les et pliez‑les dans des salsas et des pâtes. Les tiges de menthe sont ligneuses; cueillez les extrémités tendres ou réservez les tiges pour le thé.
Les herbes parlent par des molécules volatiles. Votre travail est de les marier à des porteurs qui les rendent audibles.
C’est pourquoi un fattoush avec du pain pita croustillant, de la menthe déchirée et du persil semble si vivant: le sel se glisse sous les feuilles, le citron les réveille, l’huile les porte, et la poussière de sumac est un écho acide.
Le Levant est petit sur la carte et immense à table. Les herbes parlent des dialectes différents d’un quartier à l’autre.
Même au sein d’une même ville, l’accent d’un grand‑parent traverse la géographie. Dans ma famille, les habitudes palestiniennes nous suivent dans chaque cuisine de location: la menthe sèche sur les écrans près de la fenêtre, un bocal de tiges de persil dans l’eau comme un bouquet, et l’insistance obstinée à presser du citron à table, pas avant.
Au‑delà des vedettes se trouvent les doublures qui méritent une soirée sur scène.
Les cuisiniers levantins gaspillent peu. Si vous regardez une tante préparer des herbes, vous verrez deux bols: un pour aujourd’hui, un pour plus tard. Le plus tard peut être un bouillon vert; une marmite de riz teinté des restes d’herbes; ou des œufs brouillés avec des tiges hachées, un peu d’huile d’olive, et une quantité impertinente de poivre noir.
Le matin sent la menthe. Je déchire les feuilles dans un bol avec du yaourt épais, je râpe un concombre, du sel et de l’huile d’olive, et nous partageons avec du pain encore tiède sortant de la poêle. À côté, une assiette de tomates scintillant de persil et d’un souffle de sumac, car le café aime la compagnie.
À onze heures, en-cas: une manoushe au za’atar si fraîche que les graines de sésame éclatent contre les dents. Je presse une brindille de menthe dans le pain pendant que je le replie. Cela parfume la chaleur. Un autre jour, un pain plat tartiné de kishk (yaourt fermenté et blé concassé) reçoit une pincée d’origan frais et de thym après cuisson, une prairie sur une pâte chaude.
Le déjeuner peut être mujaddara, lentilles et riz avec des oignons coupés si finement que l’on peut lire une lettre à travers eux avant qu’ils fondent. C’est un plat qui demande une salade d’accompagnement avec beaucoup de persil et de menthe, concombre en dés, tomate, oignon vert, citron, huile d’olive, sel. À chaque bouchée des oignons sucrés et tendres dans le mujaddara, vous prenez une bouchée de salade et votre bouche se réinitialise — l’herbe comme purificateur de palais.
Le thé de l’après‑midi est une poignée de feuilles de sauge dans de l’eau chaude, l’arôme remplissant la cuisine d’un soupir propre et résineux. Certains ajoutent de la menthe, d’autres une tranche fine de citron. Les herbes ne se limitent pas à l’assiette; elles vivent aussi dans le verre.
Le dîner: poulet grillé frotté à l’ail, au citron et à la marjolaine hachée, grillé jusqu’à ce que les bords soient fumés. Un bol de fattoush claque sur la table, les éclats de pita grillée craquent sous la vinaigrette. Une petite coupelle de shatta verte — piments pilés avec ail, coriandre, citron et huile d’olive — est là comme une grenade discrète. S’il y a du poisson, c’est sayadieh ou un filet sous une couverture de persil haché, câpres, zeste de citron et huile d’olive, glissé sous le gril juste assez longtemps pour rougir les bords.
Midi appartient au mezze qui n’ont jamais retrouvé le réfrigérateur: un peu de labneh, quelques olives, une tranche de pain, et surtout, une ou deux branches de menthe que vous écrasez entre vos doigts et parsemez sur tout. Vous mangez dans le noir, et la menthe est presque froide quand elle touche votre langue.
La tragédie des herbes est leur capacité à se faner rapidement en mémoire. Un peu de soin écrit une histoire plus longue.
Si vous voulez être vraiment obsédé — et moi aussi —, placez un carré de papier absorbant au fond du contenant d’herbes pour absorber l’excès d’humidité. Changez‑le dès qu’il est humide. L’odeur lorsque vous ouvrez le contenant doit ressembler à une promesse, pas à des funérailles.
Faites-les dimanche soir; vous verrez, votre mercredi dira merci.
L’écriture de ma grand‑mère sentait la menthe parce que ses listes de courses attendaient sous les herbes sur le plan de travail. Elle écrivait persil en arabe avec un vol d’élégance sous la dernière lettre et ajoutait toujours un point d’exclamation à côté du citron. Quand elle est morte, nous avons trouvé un petit bocal dans le placard étiqueté au crayon: menthe séchée, printemps 2023, douce. Je l’ai ouvert et la cuisine s’est remplie d’elle. C’était comme si les feuilles portaient son rire.
Les herbes sont la façon dont le Levant se souvient de lui‑même. Dans une région qui a connu trop de pertes, l’acte de arracher une brindille et de la poser sur le pain peut ressembler à une petite restauration. Quand je cueille de la menthe pour mes enfants et leur montre comment faire glisser le couteau sur le persil comme si l’on rase la surface d’un lac vert, je transmets quelque chose qui ne peut être expédié ni numérisé. Il vit dans le poignet et dans le nez.
Les secrets de l’utilisation des herbes fraîches dans les repas levantins ne sont pas des secrets du tout, pas vraiment. Ce sont des habitudes, répétées avec tendresse. Achetez des feuilles qui semblent encore pouvoir sentir le vent. Taillez‑les avec respect. Associez‑les au sel, à l’acidité et à l’huile qui savent écouter. Utilisez la chaleur comme un bonjour rapide, pas comme un long au revoir. Ajoutez‑les crues lorsque vous voulez de la lumière, frits lorsque vous voulez des ombres. Intégrez‑les dans des plats qui porteront leurs voix, sans les noyer. Et toujours, toujours goûter. Goûtez avant, goûttez après, goûtez encore. Il n’y a pas d’autre moyen d’apprendre comment le vert doit goûter.
Par une nuit où la ville bégaie comme une ruche et où le dîner est tardif et tout semble précipité, je tranche une tomate qui goûte le soleil, un concombre qui craque, je hache le persil jusqu’à ce que la pile ressemble à une petite montagne verte, et je déchire la menthe comme du papier. Citron, sel, huile. Je le pose sur la table et regarde les feuilles briller comme si elles étaient éclairées de l’intérieur. Quelqu’un s’approchera pour prendre le bol et la pièce sentira le marché du matin. Voilà le moment pour lequel je cuisine, celui où une herbe devient un souvenir qui arrive juste à temps.