Un samedi matin au marché de Castries, l'air vous réveille avant le café. Vous passez devant des pyramides de fruit à pain et de muscade à peau dorée, puis c'est l'odeur — le parfum tropical qu'un piment Scotch bonnet lucien peut libérer : abricot et mangue au nez, un éclat vert vif comme une feuille fraîchement coupée, et une chaleur qui pique l'arrière des yeux comme une brise marine devenue fougueuse. Les piments brillent tels des lanternes vernies — jaune tournesol, rouge hibiscus, et quelques verts tachetés comme des iguanes. Une femme à un étal, foulard couleur sorrel, rit et demande: « Chéché piman ? Vous voulez juste un peu de mal ou beaucoup ? »
Je suis venu à la cuisine lucienne comme la plupart d'entre nous: une grand-mère, un coalpot, et une poignée de piments qu'il ne fallait pas toucher. Ma grand-mère, Ma Liza de Choiseul, cultivait un ti-jaden — le petit jardin — comme une musique. Des boîtes de lait transformées en jardinières, une corde pour sécher les pelures au soleil, et un coin de terre sombre où les piments s'élevaient comme de petits soleils. Elle arrachait l'un d'entre eux avec le soin d'une fleur et le glissait derrière son oreille, non pour se mettre en valeur mais parce que le piment, comme les histoires, doit toujours être à portée.
La relation des Luciens avec les piments forts n'est pas une question de machisme mais de mémoire. Le piquant agit comme une ponctuation plutôt qu'une phrase; c'est une virgule qui réveille le bouyon après des heures de mijotage, un trait d'accent dans l'assaisonnement vert qui rend le poulet festif, et une touche vive sur les pains frits qui transforment le petit-déjeuner en fête.
Historiquement, les piments sont arrivés dans les cuisines luciennes par les mêmes vents que portaient cacao, fruit à pain et morue salée. Le Kalinago et d'autres peuples autochtones cultivaient déjà le capsicum; plus tard, les mélanges coloniaux ont apporté un spectre de piments des Caraïbes et d'Amérique centrale. Avec le temps, les Luciens ont élevé les piments non seulement pour le feu mais pour l'arôme — des notes tropicales presque fruitées qui distinguent le Scotch bonnet de ses cousins plus nets.
Promenez-vous un vendredi soir dans la fête de Gros Islet et vous goûterez cet esprit. Vous trouverez du poisson grillé frotté d'une pâte verte qui sent la ciboule et le thym, avec un seul piment discret qui cligne plutôt qu'il ne cogne; à Dennery, la sauce piment est jaune vif, relevée de moutarde et curcuma, et elle accompagne le plantain de manière qui rend le goût du grillage plus doux. Le piment, dans le Kweyòl, s'appelle piman et se retrouve partout, des bars à rhum aux baptêmes. Deux styles de sauce piment luciennes existent — vif au vinaigre et doré à la moutarde — et les deux ont leur place. J'enseigne les deux, ainsi qu'une version fermentée plus subtile.
Le sol volcanique et les vallées autour de Soufrière et Choiseul donnent une intensité particulière aux piments luciens. Les plantes déploient leurs feuilles comme des parapluies contre le soleil de midi et leurs fleurs forment des étoiles à cinq branches. Tout jardinier a une histoire d'une graine qui s'est laissée tomber et a élu domicile où elle voulait; ces accidents donnent des hybrides locaux, plus résistants que les variétés du catalogue et parfaitement adaptés au sel et aux averses.
Faire pousser des piments à la maison — ou dans n'importe quel climat chaud — demande de l'attention, pas de fioritures. Les piments aiment être remarqués. Considérez-les comme les tantes dynamiques à une christening: donnez-leur un peu d'espace et de soleil et elles feront des miracles.
L'art de sauver ses graines est une tradition lucienne. Choisissez le piment le plus aromatique et bien coloré. Découpez le cap et laissez les graines sécher sur une page de journal à l'abri du soleil. Étiquetez l'enveloppe et conservez-les; votre moi futur vous remerciera.
Les piments parlent par la couleur et l'odeur. Un Scotch bonnet passe du vert au jaune clair au lever du soleil, puis à un rouge brillant qui semble humide même sec. Le pic survient lorsque la couleur est saturée et que la peau garde du croquant. Pressez doucement; c'est comme une cerise ferme — pas de give, pas de rides.
Les règles de manipulation sont simples :
La conservation des graines est un art lucien. Choisissez le piment le plus aromatique et bien coloré. Coupez le cap, déposez les graines sur du papier et laissez-les sécher dans un endroit aéré et ombragé — comme votre tante qui étend le linge sous une corniche un jour pluvieux. Étiquetez l'enveloppe. Votre futur vous vous en remerciera.
Une table lucienne classique n'accorde pas souvent au piment le rôle de soliste. Le piment agit plutôt comme un déclencheur de mémoire. Le bouquet du bonnet dans le callaloo dit « Dimanche ». Le trait vinaigré sur le poisson frit dit « Gros Islet ». Le seul piment entier qui flotte dans le bouyon murmure « quelqu'un surveille la marmite ».
Si vous cuisinez professionnellement, vous apprendrez à cartographier les saveurs. Dans la cuisine lucienne, ajoutez le piment à la carte non seulement par le Scoville mais aussi par l'arôme et le contexte. Le fruité du Scotch bonnet se marie au citron vert, à la noix de coco et à la citrouille. La chaleur nette du piment oiseau s'accorde au souse et au vinaigre. Les sauces moutarde-curcuma relient les textures frites et la fumée grillée.
Pour l'assiette, pensez couleur et brillance. Une sauce jaune tracée sur un filet de poisson rouge ressemble à un soleil qui peint la mer. Une huile verte d'herbes avec une trace de graines de bonnet rouge évoque le drapeau de l'île sans être littéral. La chaleur doit être visible sans être menaçante. Pensez à la séduction, pas à la bagarre.
Mon souvenir préféré de piment n'est pas un plat. C'est une habitude. Ma grand-mère, en goûtant un ragoût, écrasait une lamelle de piment scotch bonnet cru entre deux doigts et la faisait tourner uniquement dans sa portion, comme pour signer son nom. Elle prenait une cuillerée, hochait la tête, puis me passait la marmite en disant : « Ou wè ? Ti gout piman, la vi vini. » Vous voyez ? Un peu de piment, la vie arrive.
C'est la thèse discrète de la chaleur lucienne. Les piments cultivés dans les arrière-cours à l'ombre du fruit à pain, les sauces transportées dans des bouteilles réutilisées jusqu'à la plage, le parfum lumineux et enivrant d'un stand de marché — ce ne sont pas des démonstrations de bravoure. Ils parlent de présence. Ils donnent vie à la nourriture en bouche comme le sel qui réveille la peau.
Si vous cuisinez Lucien chez vous — où que soit ce chez-vous — essayez ceci: faites pousser une plante. Tuteurez-la, accueillez-la le matin, cueillez un piment quand il est le plus beau, et cuisinez une simple marmite de bouyon. Faites flotter le piment entier. Mangez lentement. Laissez le bouillon réchauffer votre visage et le piment votre poitrine. Quand la cuillère raclera le fond du bol, vous comprendrez pourquoi à Saint-Lucie, le piment n'est pas qu'un ingrédient. C'est une ponctuation pour la joie, la mémoire et le long souffle chantant de l'île.